florian Sam 30 Oct - 15:45
A Marwan.
Je viens tous juste de finir de voir le "film socialisme" de Jean-Luc Godard. Et comme l’autre fois je ne l’avais pas encore vu quand tu m’as demandé ce qu’il valait, je peux maintenant te donner mon avis !
En fait je n’ai pas été surpris par la forme particulière du film, car c’est parfaitement dans la même ligne de style que les œuvres précédentes de Godard !
Le film est divisé en deux parties formellement différentes : une première partie qui se passe sur un navire de croisière, et une seconde qui se trouve à terre.
La première partie est constituée d’un flot d’images sur des mots, des phrases en voix off qu’on entend mal. La volonté du cinéaste est de les noyés sous une musique ou d’autres sons. Il a également collé des sons de mauvaise qualité (échos du vent qui frappe sur le micro par exemple) sur des images très belles et composées, ainsi que d’autre images volontairement laides au niveau technique, où encore des plans filmé en contre-jour, sous exposant des personnages dont la voix est parfaitement nette tandis que leurs visages reste dans l’ombre.
"Film socialisme" est aussi une œuvre hybride, qui semble apparemment n’avoir aucun scénario. Mais je pense que chez Godard, l’idée est surtout d’essayer de saisir le réel à une époque donnée pour en dresser un portrait.
Durant différents moments, un certain lyrisme semble se dégager. Comme par exemple les plans qui suivent après qu’une femme est prononcée des phrases d’amertume sur la Russie.
Une musique intervient alors sous différents plans de choses anodines de la vie sur le bateau de croisière. C’est justement la distance entre ces images, et ce qui a été dit dans la scène précédente qui crée ce lyrisme. C’est le genre de choses que l’on peut retrouver dans certains types de documentaire qui recherche la distance tout en préservant l’objectivité. Du genre "le fond de l’air et rouge" (1977) où "Sans soleil" (1983) de Chris Marker, on n’est pas loin de ça !
D’ailleurs dans le même domaine du cinéma utilisant la technique du montage vertical, la plus grande réussite de Godard est pour moi "Deux où trois choses que je sais d’elle" (1967). Qui je pense est une sorte de chef-d’œuvre dans son genre, que je conseille d’ailleurs à tous le monde.
Voir également le superbe "Méditerranée" (1963) de Jean-Daniel Pollet, ainsi que "Lettre de Sibérie" (1957) de Chris Marker, qui sont des films qui empruntent la même forme.
"Film Socialisme" semble n’être qu’à la base, qu’une série de scènes que Godard aurait saisi au vol durant son séjour sur le navire (le bar, le restaurant, le casino, les couloirs de réception, la piscine, etc).
Il aurait ensuite tourné quelques séquences avec des comédiens, pour finalement lui donné la forme d’une œuvre dans sa phase de postproduction, en travaillant le montage et le mixage des sons et des images. Pour qu’au final a partir de rien (c'est-à-dire d’images insignifiante) y jaillisse une idée. (Même si je pense que cette idée était présente dés le départ)
Quand à la seconde partie qui se passe à terre, je me suis carrément ennuyé.
C’est une série de scènes avec des acteurs au jeu artificiel, qui laissent par moment parler une où plusieurs voix off. Même si ces phrases peuvent à certains moments paraîtres très intelligentes, je n’adhère vraiment pas dans cette forme de mise en scène, qui contraste un peu avec la première partie. (Même si ce contraste sera probablement salutaire pour certain spectateurs)
En revanche, j’ai trouvé le dernier quart d’heure de cette seconde partie très réussit. A cause encore une fois, du rapport qui se crée entre le flot d’images monté verticalement avec le commentaire sonore.
C’est l’une des essences du cinéma : l’image d’une chose filmée, renvoi dans l’esprit du spectateur à une autre image (mentale), ou à une idée. Qui mis en rapport avec le texte de la voix off, peut donner des résultats inattendu (mais normalement voulu par le cinéaste). J’ajouterais à cela la musique, avec ce qu’elle peut donner au niveau sensoriel.
Encore une fois, le texte de la voix off n’a aucun rapport avec les images, mais c’est le spectateur lui même qui crée un lien entre les deux. Sans oublié encore, le rapport qui s’établie entre plusieurs images différentes montées entre elle (c’est la base du montage par attraction).
Godard utilise également pas mal d’intertitre dans ce film. Intertitres qui servent moins pour ce qui est écrit, que pour ce à quoi le texte renvoi.
Ces cartons ont exactement la même fonction qu’un simple plan qui renvoi à une image mentale (l’utilisation d’intertitres, était dans le passé énormément employé par Godard).
C’est une méthode qui vient directement du cinéma de propagande soviétique. Notamment dans les films de Dziga Vertov, comme le "Ciné-œil" (1924) où les différents numéros de la série des "ciné-vérité"/"Kino-Pravda" (de 1922 à 1925).
Chez Vertov ces intertitres étaient employés également à l’extrême comme de véritables images.Par exemple, un carton d’intertitre pouvait indiquer un mot de différente taille, enchainé à une vitesse plus où moins rapide avec un autre mot. Qui au final crée une phrase, que le monteur fait correspondre à une image, et que l’on met en rapport avec l’un des mot de la phrase, comme pour le marteler dans l’esprit du spectateur, etc., …il y a une infinité de possibilités !
Il est clair que Godard depuis ses débuts avait été très influencé par cette méthode (qui n’est pas propre qu’à Vertov). D’ailleurs ce n’est pas par hasard que Godard avait crée vers la fin des années soixante avec Jean-Pierre Gorin et d'autres militants maoïstes, le groupe Dziga-Vertov. (Pour tourner des films militants)
On retrouve très souvent chez Godard un lien avec le cinéma soviétique des années vingt.
"Film socialisme" ne fait pas exception dans sa filmographie. Vers la fin du film, on y retrouve (sous une musique à l’orgue) des images du film "Octobre" (1927) et du "cuirassé Potemkine" (1925) d’Eisenstein. Les images de ces deux films sont ici mises en rapport avec d’autres images différentes. La scène du massacre sur l’escalier d’Odessa dans le "cuirassé Potemkine", est également mis en rapport avec des plans de ce même escalier filmé aujourd’hui. Même si Godard veut nous faire sentir sans nous le dire, que ce massacre sur ces marches n’a jamais existé. J’ai eus l’impression qu’il cherchait à nous faire comprendre (où plutôt sentir), qu’un travail savant des images peut changer une vérité et transformé un réel. Tandis qu’il use de ce même moyen, pour à l’inverse tenter de faire capter une authentique réalité critique.
Car il faut savoir que dans le "cuirassé Potemkine", la scène du massacre sur les escaliers d’Odessa n’était qu’une scène purement fictive, imaginé à l’époque par Eisenstein. Car en 1925 ce dernier avait rassemblé pour son film, des événements qui c’étaient déroulés à Bakou et non sur les escaliers d’Odessa. N’en déplaise aux nombreux touristes qui descendent des marches rendues célèbres par un film et non par l’histoire.(touristes que l'on voit dans le film de Godard)
Tout ça pour dire que dans l’ensemble ce n’est pas un film qui m’a passionné. J’ai largement vu mieux dans le même genre, y compris chez Godard. Mais en même temps, c’est certainement un film que je reverrai en souhaitant y saisir des choses que je n’ai pas encore capté.